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Chapitre 9
Nous étions définitivement dans le collimateur de Mme Wesley. Après nous avoir fait installer au fond de la classe un rang derrière Laédia, elle n'avait cessé de nous envoyer des regards qui nous obligeaient à rester tranquille. Cette heure passait tellement lentement que je commençai à m'inquiéter pour toutes celles qu'il nous restaient avant la fin de la journée. Quand la fin de celle-ci fut enfin venu, je remballai le peu d'affaires que j'avais emporté pour cette première journée, soit des feuilles et une trousse comportant quelques stylos. Je m'empressai à la sortie afin de retrouver Laédia, laissant Stann derrière moi. Lorsque j'atteignis enfin cette dernière, je lui saisis le bras et un courant de paix m'envahit. Comment avais-je pu oublier cette sensation ? Même si elle ne s'était pas déclenchée à deux reprises, elle était toujours la même, apaisante, telle que je ne parvins pas à lâcher le bras de Laédia. C'est lorsque que je relevai la tête que j'aperçus cette dernière qui me dévisageait. Son regard traduisait quelque chose d'indéchiffrable et mes yeux plongeaient dans les siens. Nous restâmes ainsi de longues secondes, sans que je ne puisse m'en lasser, cette sensation ne nous quittait pas, je voyais sur le visage de Laédia qu'elle la ressentait elle aussi. Elle finit cependant par se dégager et reprendre ses esprits, ce que je m'obligeai à faire aussi malgré mon envie de ressentir cette paix intérieure encore un peu. Nous n'étions jamais resté ainsi aussi longtemps, ce qui me déstabilisa.
— Il faut qu'on parle de ça, lui dis-je à voix basse.
Ses yeux étaient toujours rivés sur les miens et je ne réussis pas à m'en détacher, une force puissante et invisible m'en empêchait.
— On en parlera ce soir, répondit-elle toujours avec cette même expression dont je n'arrivais pas à saisir le sens.
Je parvenais cependant à deviner un certain stress à sa façon d'agir. Elle avait l'air pressée de s'en aller, l'air de ne rien vouloir me dire. Mais pour quelle raison ? Cette sensation la faisait-elle souffrir en réalité ? Son visage disait pourtant tout autre chose, tout portait à croire qu'elle ressentait la même chose que moi pendant ce courant qui nous parcourait. Pourtant, l'expression qu'elle avait en ce moment cachait autre chose, et ses pensées étaient impénétrables. Nous nous étions rencontré il y a quelques semaines seulement, mais j'avais l'impression de la connaître depuis tellement plus longtemps.
— Vous allez vous regarder dans le blanc des yeux encore longtemps comme ça ?
La voix de Stann nous ramena immédiatement à l'instant présent.
— Moi c'est Stann, dit-il à Laédia en lui tendant la main.
— Laédia, répondit-elle sans tenir compte de la main tendue de mon ami, qui n'insista pas.
Avait-elle évité de lui serrer la main par crainte qu'il se passe la même chose avec lui ?
— Alors comme ça, vous vous connaissez ?, parvint-il à articuler après un silence de quelques secondes.
— Ce n'est pas du tout ce que tu imagines, lui lança-t-elle gênée, évitant mon regard, faisant exprès de ne pas tenir compte de ma présence.
— Cette réaction témoigne qu'il y a donc du vrai dans ce que j'ai dis, dit-il, ses lèvres s'élargissant en un sourire fier.
— On va être en retard, dit-elle avant de se retourner et partir.
Stann et moi nous sommes regardé avant de comprendre que si elle était dans notre classe, il valait mieux la suivre avant de la perdre de vue.
La sonnerie de la dernière heure de cours retentit enfin. Cela ne faisait qu'une journée que nous étions là que cette sonnerie me tapait déjà sur les nerfs. Cette journée avait été pire que je ne l'avais imaginée. Stann et moi quittâmes le lycée plus vite que nous y étions arrivés. J'adressai un signe de main à Laédia à la sortie, tout en sachant que je la reverrai dans quelques heures.
— Ça fait un moment qu'on a pas fait notre ronde du soir, il faudrait peut-être s'y remettre tu ne crois pas ?, me demanda Stann sur le chemin du retour.
Réalisant qu'il avait raison, j’acquiesçai.
— On devrait peut-être se séparer d'ailleurs, nous allons toujours au parc, peut-être que l'un de nous devrait surveiller le parc et l'autre les rues alentoures, non ?, demandai-je à mon tour avec l'idée de pouvoir parler à Laédia sans me préoccuper de la présence de Stann.
— Oui tu as raison, répondit ce dernier sans protester à ma grande surprise, ça pourrait être plus efficace, ajouta-t-il.
— Je prends le parc et toi les alentours ? Je pense que tu pourrais commencer par Madison Street, repris-je, estimant notre rue assez loin pour être tranquille dans le parc, il fallait absolument que je parle à Laédia sans craindre d'être interrompu.
— Ça marche pour moi !, répondit-il.
Nous arrivâmes chez nous plus vite que nous l'avions imaginé, fatigué de cette journée. Nous décidâmes, après avoir terminé le travail donné par nos professeurs, de descendre au Starbucks en bas de l'immeuble pour dîner. Je commandai un sandwich au poulet avec un orangina et Stann, hésitant, prit la même chose que moi. Une fois installé à notre table habituelle, dans le coin à droite près de la sortie, nous commençâmes à manger. Nous avions choisi cette place, la première fois que nous sommes venu, parce que la vue était assez agréable.
— Où tu l'as rencontrée ?, demanda soudain Stann sans avoir besoin de préciser de qui il parlait.
— Dans le Millennium Park, dis-je en désignant ce dernier du menton par la fenêtre.
— Et ça fait longtemps ?, m'interrogea-t-il de nouveau.
— Quelques semaines seulement, lui dis-je, devinant qu'aucune de mes réponses ne satisferaient pas sa curiosité.
— Vous m'avez fait flipper au lycée, depuis combien de temps vous vous regardiez comme ça ? Vous étiez comme possédés ! Et est-ce que c'est une gardienne ?, enchaîna-t-il.
— Non elle ne l'est pas, lançai-je, ne sachant quoi répondre et ignorant son commentaire sur ce qui s'était passé au lycée.
Stann passa le reste de la soirée à m'interroger sur Laédia et sur nos activités de la nuit où je n'étais pas rentré. Je dû lui mentir, et je n'aimais pas vraiment ça. Nous quittâmes le café un peu après onze heure et nous séparâmes pour faire notre ronde.
Je décidai de me diriger vers le Could Gate, une sculpture entièrement miroitée formant un haricot géant sous lequel on pouvait circuler et même s'installer tranquillement. À cette heure là, l'attraction était fermée, nous ne serions donc pas dérangés. Je me demandai soudain comment elle pourrait me trouver, mais quelque chose me disait qu'elle y parviendrait sans problème. Je pénétrai sous ce haricot géant et observai mon reflet en songeant à ce qui avait bien pu donner l'idée à Kapoor de créer une telle œuvre. Je n'aperçus pas la silhouette qui se glissa derrière et me plaqua contre la façade du Could Gate.
— Ta mise en scène est tombé à l'eau au moment où tu m'as touché ma chère !, lançai-je à mon agresseur.
— Ce n'était peut-être qu'une excuse, cette mise en scène, me répondit-elle.
Je me retournai alors pour contempler son visage où se dessinait un sourire provocateur ce qui me fit sourire à mon tour. Elle me mettait de bonne humeur et j'avais envie de me comporter différemment avec elle, comme si nous pouvions nous soucier de rien.
— Je n'ai jamais été sûr à cent pour cent que tu ressente aussi cette sensation, dis-je en m'avançant vers elle au fur et à mesure qu'elle reculait jusqu'à atteindre la façade opposée. Tu ne peux pas t'échapper, chuchotai-je en posant mes mains sur la face miroitée de façon à ce qu'elle ne puisse s'en aller.
Je m'abandonnai alors à la vue de ses yeux bleus, ne remarquant pas l'accélération des battements de mon cœur. Quelque chose d'irréel m'attirait en elle, me donnait envie de la serrer contre moi sans plus jamais la lâcher. Elle avait l'air à la fois si fragile et tellement forte. Elle m'hypnotisait. Un éclat de rire, plutôt le sien, me ramena à moi.
— Tu devrais voir ta tête !, lança-t-elle toujours en riant.
Voilà deux fois que j'entendais ça, à croire que j'étais vraiment drôle à voir. Elle s'adossa à la façade, joignant ses mains derrière son dos.
— Dis, il y a quelque chose qui m'intrigue, commença-t-elle. Lorsque nous étions dans le wagon, je n'ai ressentis aucune sensation à ton contact, en as-tu ressentis une ?, demanda-t-elle.
— Non j'ai pensé sur le moment que c'était peut-être dû à la peur que tu éprouvais, répondis-je doucement, remarquant que mes mains étaient toujours au même endroit depuis toute à l'heure et décidant malgré tout de rester ainsi.
Elle se redressa tout en ne me quittant pas des yeux, et je réalisai à quel point nous étions proches l'un de l'autre. Je pouvais à présent sentir son souffle sur mon visage.
— Puis-je essayer quelque chose ?, demanda-t-elle hésitante.
— Vas-y, répondis-je.
Elle glissa alors ses mains dans mon dos et posa sa tête sur mon torse. J'ai par la suite été submergé par un océan de sensations, comme si celles que j'avais ressentis jusqu'à maintenant au contact de Laédia n'en avait été qu'une infime goutte. J'eus l'impression de renaître et je crains soudain ne plus être capable de vivre sans, comme si je dépendais uniquement d'elle. Je fermai les yeux puis resserrai mes bras autour de Laédia comme pour m'imprégner de cette sensation qui créa un feu d'artifice au plus profond de mon être, comme si quelque chose en moi s'était libéré, comme si j'avais été prisonnier pendant longtemps et que je revoyais enfin la lumière du jour.
Laédia se dégagea soudainement, me faisant revenir brusquement à moi. Ouvrant les yeux, je découvris son regard inquiétant posé sur moi. Je réalisai alors que le feu d'artifice que je sentais émerger au fond de moi, émergeait en réalité de moi, sortant de mon corps, faisant apparaître des millions d'étincelle.
— N'avais-tu pas les yeux bleus foncés ?, me demanda Laédia, toujours inquiète.
Je clignai alors des yeux, la regardant sans comprendre ce qu'elle disait mais aussi ce qui m'arrivait.
— De quelle couleur sont-ils ?, demandais-je après un moment.
— Je croyais les avoir vu argentés j'ai dû rêvé, ajouta-t-elle en me dévisageant.
Je me sentais bizarre, y avait-il un rapport avec notre contact ?
— Tu as dis que tu pourrais m'expliquer pourquoi un tel effet se produisait lorsque nous établissions un contact physique, hésitai-je.
— On l'appelle l'Apaisement, répondit-elle. Il ne subvient que dans des cas tellement rares, je pensais ne jamais pouvoir le vivre, il touche si peu de gens. Je ne sais pas quoi dire... Il est censé lier deux personnes d'une quelconque manière, je ne sais pas grand chose de plus dessus à part que seules les personnes comme moi en ont la capacité et qu'il ne peut y avoir qu'une personne avec qui il peut se déclencher. En fait, ce phénomène me fait un peu peur..., conclut-elle.
— Et pour la sphère blanche qui était apparue dans nos mains, dis-je en regardant la paume de ma main, essayant de me souvenir de l'effet qu'elle avait déclenché
— Elle est le lien même de l'Apaisement entre les deux personnes. Une fois cette sphère blanche séparée en deux, nous devons nous les échanger et les faire pénétrer dans notre corps, finit-elle.
— Et que se passe-t-il ensuite ?, demandai-je intrigué.
— Cela crée une alliance entre nos âmes en quelques sortes, permettant à ce lien de durer éternellement sans qu'il ne puisse être rompu par quoique ce soit, répondit-elle avant de me tourner le dos.
— Mais qu'est-ce qui te met dans cet état exactement ?, l'interrogeai-je.
Elle se tourna alors de nouveau vers moi, les yeux humides.
— Ce lien peut devenir tellement fort qu'il peut entraîner la folie chez l'une des deux personnes jusqu'à ce que celle-ci ne veuille plus vivre, c'est déjà arrivé, répondit-elle.
Une larme roula sur sa joue et j'essuyai cette dernière avant de remonter son menton afin qu'elle me regarde.
— Mais ça ne nous arrivera peut-être pas, et nous ne sommes pas obligé de créer ce lien, si ?, demandai-je.
— Si nous décidons tous les deux de ne pas créer ce lien, l'Apaisement s'inversera en une douleur insoutenable, dit-elle. J'avais une sœur, lâcha-t-elle. Elle avait établit ce lien avec le garçon avec lequel elle avait découvert l'Apaisement. Lorsqu'il est mort, elle a tellement souffert que la sphère blanche qui était en elle depuis longtemps a explosé et elle est morte sur le coup, et jamais cette image ne s'est effacée de ma mémoire. J'ai vraiment peur, répondit-elle.
Je cherchai quelque chose à dire afin de la consoler et la rassurer mais ma recherche dû s'arrêter. Laédia se tordit brusquement et cria de douleur. Je me précipitai pour la retenir ne sachant que faire d'autre que l'appeler, crier son nom pour qu'elle me réponde. Sa respiration s'était arrêtée et des larmes coulaient sur son visage. Elle pâlit, sans que je ne puisse faire quoique ce soit. Elle retrouva ensuite sa respiration, les battements de son cœur toujours rapide. Elle se redressa, tentant de respirer normalement.
— J'avais espéré que tu n'assiste jamais à ça, réussit-elle à articuler.
— Que s'est-il passé ?, demandai-je, inquiet.
— Une Infraction vient d'être commise non loin d'ici, voilà l'effet qu'elles produisent sur moi, dit-elle, reprenant son souffle. Mais la personne est morte, je ne me sentirais pas mieux si ce n'était pas le cas, allons voir, ajouta-t-elle.
Je la suivis alors jusqu'à découvrir le corps inerte d'une adolescent qui devait avoir notre âge.
— Le spectre ne doit plus être dans les parages, je sentirais sa présence, chuchota Laédia.
J'appliquai alors la procédure pour faire disparaître le corps du garçon. Je fermai les yeux et me concentrai pour faire apparaître la sphère bleue. Laédia laissa échapper un hoquet de surprise qui me poussa à ouvrir les yeux. En effet, j'étais moi aussi étonné en découvrant une sphère argentée au lieu d'une bleue. Je refermai alors la main pour la faire disparaître et recommencer. Je répétait mon geste et rouvrit les yeux, mais la sphère était toujours argentée.
— Il me semble que tes yeux étaient de la même couleur toute à l'heure, me dit Laédia toujours en chuchotant.
Je relevai alors la tête pour la regarder, comment mes yeux auraient-ils pu changer de couleur ? Je vis alors ses yeux s'élargir.
— Je t'assure ne me regarde pas comme ça ! Ils le sont encore en ce moment d'ailleurs, dit-elle émerveillée.
Elle s'approcha alors pour mieux regarder. Elle prit mon visage entre ses mains et plongea son regard dans le mien.
— C'est tellement magnifique, c'est hypnotisant, lâcha-t-elle.
Effectivement elle avait l'air hypnotisée. Je clignai alors des yeux et elle parut déçu.
— Tu ne veux pas le refaire ?, me demanda-t-elle en sortant son plus joli sourire.
— Désoler je ne le contrôle pas, dis-je. Mais je crois qu'il y a quelque chose de plus important en ce moment, ajoutai-je.
— Oui excuse-moi tu as raison, dit-elle. Je pense que tu devrais quand même essayer malgré la couleur de la sphère.
— Mais je ne sais pas s'il peut y avoir des conséquences, dis-je, réalisant qu'il était mort et donc que rien de pire ne pourrait plus arriver.
Je me concentrai de nouveau et fis apparaître une sphère, toujours argentée. Je m'agenouillai près du garçon aussi jeune que nous et posa la sphère sur sa poitrine. Je regardai cette dernière y pénétrer, attendant une quelconque réaction, qui ne vint pas.
— C'est étrange, il devrait se passer quelque chose, chuchota Laédia en s'agenouillant près de moi.
Je n'eus pas le temps de lui répondre. Le corps inerte commençait désormais à s'animer et le jeune garçon fut prit d'une quinte de toux. C'est alors qu'il se redressa et nous regarda, Laédia et moi à tour de rôle.
— Que s'est-il passé ?, demanda-il déconcerté.
Laédia et moi nous regardâmes, interloqués. Comment était-ce possible ? Cette sphère argentée avait donc le pouvoir de redonner vie aux corps vidés de leur âme ?
— Tu t'es évanouis, nous étions tout près alors nous sommes venu, menti Laédia.
— Que faisais-tu avant de t'évanouir, tu t'en souviens ?, demandai-je.
— Je cherchais mon chat, il s'est enfuit après que je l'ai grondé, mais il ne s'enfuit pas comme ça d'habitude je ne comprends pas il est introuvable, dit-il tristement.
C'est alors que je sentis quelque chose frotter mon genoux, une boule de poils tigrée grise révéla le bout de son nez.
— Stann te voilà enfin !, s'exclama le garçon en prenant le chat dans ses bras.
Je manquai m'étrangler en essayant de ne pas éclater de rire en entendant le nom de son chat, pensant à mon ami qui aurait probablement été vexé.
— Je vous remercie pour votre aide, nous dit le garçon heureux d'avoir retrouvé son chat. Mais il faut que je rentre maintenant, ajouta-t-il en se levant et s'éloignant. Au revoir, nous cria-t-il en nous faisant un signe de main.
Laédia et moi nous regardâmes de nouveau. Cela faisait en effet beaucoup à assimiler pour une simple soirée. Tout d'abord, elle m'avait parlé de l'Apaisement et de ce qu'il impliquait. Il m'était ensuite arrivé quelque chose d'étrange sous le Could Gate, ensuite était venu la sphère argentée et apparemment mes yeux changeaient de couleur. Et pour finir, un garçon innocent se faisant attaquer par un spectre.
— Je ne comprends pas, j'ai pourtant ressentis une Infraction, me dit Laédia qui s'assied au sol.
— Un spectre l'a peut-être cru, peut-être que ce garçon était en colère d'avoir perdu son chat, je ne sais pas, lui répondis-je en m'asseyant près d'elle.
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