• Chapitre 5

    Malgré l'obscurité et le faible éclairage du parc en pleine nuit, je le regardais, caché derrière un gros arbre du parc qui m'effaçait complètement, de sorte qu'il ne puisse pas me voir. J'avais pris depuis quelques nuits la mauvaise habitude d'observer tous les spectres que je voyais. Jusque là, tous ceux que j'avais pu apercevoir n'avaient rien à voir avec elle. Celui-ci avait probablement été un gardien de la H-E, l'harmonie Humain-Environnement, étant donné qu'il était intervenu lorsqu'un homme avait décidé de peindre tous les buissons qui passaient sur son chemin avec une bombe de peinture rouge. Je devais intervenir, je le savais. Pourtant, je restais là, à observer le moindre petit geste qui prouverait que lui aussi n'est pas comme les autres. Il allait lui enlever son âme.

    — Merde Hayden qu'est-ce que tu fous ?!

    Stann surgit de derrière moi, se précipitant sur le spectre pour l'arrêter. Il fit appel à la sphère rouge, celle que l'on utilise pour mettre fin à la vie des spectres. Une fois en contact avec le corps de celui-ci, la sphère l'enveloppa et il devint de plus en plus transparent, jusqu'à disparaître complètement. Se tournant vers l'homme assis à terre, le regard remplie de peur et fit apparaître cette fois la sphère verte, qu'il fit pénétrer dans la poitrine de l'homme, qui fut aussitôt apaisé, reprenant le cour de sa vie en ayant oublier grâce à la sphère toute violence.

    Un hoquet de surprise se fit entendre près de nous. Stann et moi nous retournons en même temps vers sa source et constatons qu'il y avait un témoin à toute la scène qui venait de se dérouler. Stann me lança un regard, que je perçus sans même avoir besoin de le regarder, parce que je savais ce qu'il pensait ; c'était ma faute, et il avait raison. Le témoin, un jeune garçon âgé d'environ une dizaine d'année, s'enfuit en courant. Inutile de le rattraper, de toute façon personne ne le croira.

    Stann vint rapidement à ma rencontre, après un court moment de silence.

    — Qu'est-ce qui t'arrive ces derniers jours, ça fait deux fois que j'interviens comme ça, ça va pas ? Et maintenant à cause de toi on est grillé !

    Je ne relève que ça dernière remarque.

    — Il est jeune, personne ne croira ce qu'il raconte s'il le dit à quelqu'un, et il oubliera..

    — Oui je n'en doute pas, mais le Grand Gardien lui, il ne va pas oublier ! Il sait quand l'un de nous a manqué d'attention au point de s'être fait prendre par un humain !

    — Ça ne nous est jamais arrivé auparavant, je ne vois pas pourquoi il nous convoquerait pour une si petite faute d'inattention, dis-je agacé.

    — Ça aurait pu ne pas être un petit garçon Hayden ! Ça aurait pu être un adulte, qui aurait été signalé ce qu'il a vu aux autorité et une enquête aurait été menée, dit-il avec gravité avant d'ajouter. Bon, et si on rentrait ? finit-il par me demander.

    — Vas-y, je te rejoins, répondis-je.

    — Qu'est-ce que tu vas faire encore ? Tu rentre très tard et tu dors presque tout le journée ! me lança-t-il.

    — Je n'en ai pas pour longtemps, répondis-je en haussant les épaules et m'éloignant sachant qu'il n'ajouterai rien.

    Je traînais dans le parc, comme je le faisais ces dernières nuits, plus précisément depuis que je l'avais revue, trois fois. Il me suffisait de la chercher ne serait-ce que quelques dizaines de minutes pour qu'elle se montre enfin. La première fois qu'elle s'est montrée, je me promenais en pleine nuit au Millennium Park, comme en ce moment. Elle avait surgit derrière moi, murmurant mon nom qui avait été porté par le vent, comme la première fois que je l'ai vu. La deuxième fois aussi, durant une nuit au parc, elle était installée sur un banc. Elle m'avait parue si fatiguée que nous n'avions pas beaucoup parlé, voire presque pas.. La troisième et dernière fois, toujours au même endroit, je l'avais cherchée durant une heure et avais finis par la trouver allongée au beau milieu de l'herbe. Je m'étais installé à côté d'elle, m'entraînant dans sa contemplation des étoiles qui, cette nuit là, scintillaient comme des guirlandes lumineuses sur un sapin de noël. Je la cherchais toujours, en quête de réponses à toutes mes questions. Mais à chaque fois qu'elle apparaissait, les questions qui flottaient dans mon esprit la minutes d'avant me semblaient totalement inintéressantes. Ce soir, il fallait vraiment qu'on discute. Sinon, je ne pourrais jamais avoir les réponses que j'attends, alors autant en finir maintenant.

    Je m'assis sur un banc, celui sur lequel elle était assise lorsque nous nous étions vraiment rencontré, quand nous avions parlé, et quand cette mystérieuse sphère blanche, à laquelle je n'avais cessé, était apparue. Pour une fois, c'est moi qui allait l'attendre.

    Je guettais les bruits alentours, les yeux fermés, respirant l'air frais de l'hiver, lorsque je sentis une douce sensation se répandre en moi. Ouvrant les yeux, je compris immédiatement que cette sensation était dû à sa main posée sur mon épaule.

    — Hayden, murmura-t-elle.

    — Laédia, répondis-je. J'ai vraiment besoin de réponses, tout est tellement...

    — Bouleversant, me coupa-t-elle.

    J'acquiesce d'un hochement de tête. Elle soupira et s'assit près de moi.

    — Tout est si compliqué à expliquer.. me dit-elle, le regard perdu au loin.

    — Tu n'as qu'à répondre à mes questions, proposai-je. Dis-moi depuis quand es-tu comme ça, ou encore si tu en connais d'autre comme toi, ou dis-moi plutôt ce que tu fais de tes journées ?

    Elle me regarda, d'abord étonnée, puis elle étouffa un rire. J'avais peut-être été trop loin en posant ma dernière question. Je décidai de revenir sur l'une des précédentes pour faire passer la confusion.

    — Es-tu comme ça depuis longtemps ?

    — Qu'appelles-tu « comme ça » au juste ?, me lança-t-elle, penchant la tête d'un côté tout en me regardant.

    — Et bien.., hésitai-je. Tu vides les gens de leur âme, tu étais presque translucide quand je t'ai aperçu dans le parc, et tu es redevenue ainsi, la montrant d'un geste de la main, après avoir volé une âme.

    — Prendre l'âme d'une personne qui ne la mérite ne devrait pas être considéré comme un vol, répondit-elle, froidement.

    J'étais perturbé à l'idée de voir qu'elle puisse ressentir autant de choses que moi, elle pouvait sourire, un signe de joie, être vexée, en colère, triste et j'en passe.

    — Je comprends ce que tu veux dire, mais tu ne peux pas en décider par toi-même.

    Elle me lança un regard noir, comme si son impression que je la comprenais venais de s'évaporer car je l'aurais trahis. Elle se leva brusquement et fit quelque pas, l'air très énervée, avant de se retourner vers moi.

    — Est-ce que tu es contre moi ? Vas-tu me faire subir le même sort que tu fais subir à tous les spectres ? Je croyais que je pourrais avoir confiance en toi, que jamais tu ne t'en prendrais à moi, ai-je eu tort de le penser ?, lâcha-t-elle avec un tel sérieux que je dû réfléchir à formuler une réponse qui ne la ferai pas fuir.

    Je me levai à mon tour pour la rejoindre, mais elle recula, toujours en colère.

    — Laédia, jamais je ne te ferais de mal, et tu peux avoir confiance en moi, je ne te trahirais pas. Mais il faut que tu sache que si je te dis que cette décision ne t'appartiens pas, c'est parce que les rôle des gardiens est de préserver toutes les harmonies, mais aussi d'éliminer tous les spectres qu'ils rencontreront.

    Je vis soudain de la peur dans ses yeux, comme si elle craignait que je lui arrache sa vie à tout moment. Elle recula de nouveau, se retournant pour partir. Je marchai rapidement pour la rattraper et posa doucement une main sur son épaule, pour l'empêcher de s'enfuir. Je me mis face à elle et posa ma main libre sur son autre épaule, afin d'être sûr qu'elle me regarde bien.

    — Tu n'as rien à craindre de moi, tu m'as mal compris. Moi je ne t'ai pas ôté la vie, mais n'importe quel autre gardien qui t'aurait vu le soir où je t'ai laissé t'approprier l'âme d'un homme n'aurait pas hésité, tu dois être prudente.

    Le contact de mes mains sur ses épaules avait un tel effet apaisant que je ne pu me résoudre à les enlever. Je me demandai encore si elle le sentait elle aussi.

    — J'arrive à percevoir les moments où tu ressens de fortes émotions.

    Sa voix me fit sursauter, étant focaliser sur la douce sensation qui m'habitait en la touchant.

    — Que veux-tu dire ?

    Elle reprit sa place sur le banc, rompant tout contact, ce qui me fit brusquement revenir à moi. Je repris également ma place. Elle fixait au loin un point invisible comme à son arrivé, serrant se ses deux mains le banc sur lequel nous étions.

    — Ton désir de me voir. À chaque fois, j'essaie de me persuader que je ne dois pas venir te voir, mais je sens tellement ton envie de me voir que je ne parviens pas à rester dans l'ombre plus longtemps.

    Je l'écoutais attentivement, regardant le parc éclairé par la lumière de la lune qui était pleine, me retournant parfois vers elle pour la regarder. Cette façon de toujours regarder un point invisible devant elle me mettait mal à l'aise, comme si elle se perdait très loin à chaque fois qu'elle pensait. Je posai ma main à côté de la sienne, espérant être envahi par la sensation enivrante qui me parcourait toute à l'heure. Je n'arrivais plus à m'en passer, comme lorsque l'on entame une tablette de chocolat, le désir d'en reprendre un morceau, puis un autre, et encore un, est plus fort que nous. Elle était comme du chocolat, mais en plus intense.

    — À chaque fois, je veux te voir pour avoir enfin des réponses mais en fin de compte, je ne ressens plus le besoin de les poser, tu me fascine tellement qu'elles paraissent sans intérêt en comparaison.

    Elle rougit, légèrement mais la pâleur de sa peau la trahit. Qu'avais-je bien pu dire pour déclencher cette réaction chez elle ? Voilà un sentiment que je pouvais ajouter à la liste de ceux qu'elle pouvait ressentir, elle était gênée. Je sentis soudain l'apaisement de son contact sans parvenir à savoir directement d'où il venait, avant de remarquer que nos mains se touchaient, même avec un bref contact, la sensation ne perdait pas en intenté. Elle inspira longuement, comme pour laisser la sensation la parcourir jusque dans ses poumons, comme si elle voulait en garder en réserve. Puis elle poussa un soupir. Elle ne voulait pas en garder, mais pour quelle raison ?Je voyais qu'elle se sentait paisible elle aussi, les muscles de son visage s'étaient détendus complètement, ainsi que ses épaules, qui jusqu'ici étaient toutes contractées, elles étaient maintenant relâchée. Elle me rappela soudainement la fois où elle avait parue revivre, ses cheveux étaient lumineux, d'une couleur proche de l'or, comme maintenant. Notre contact lui procurait-il le même effet que les âmes ? La sphère blanche me revint ensuite en mémoire, je décidai de l'interroger.

    — Comment ses deux sphères blanches sont apparues la dernière fois ?

    — C'est une histoire bien compliquée.. me répondit-elle après un instant de silence. Mais je pourrais sûrement te la raconter demain, ajouta-t-elle, comme pour me lancer le défi de revenir la nuit suivante.

    J'acquiesce, comprenant par sa réponse qu'il était venu le moment de retourner à nos vies respectives. Elle s'éloigna, puis, une fois assez loin, se retourna pour me faire un signe de la main, chuchotant quelque chose que je ne percevrai que grâce au vent dans un court instant ; voilà une question de plus qu'il fallait que je lui pose, comment pouvait-elle se servir du vent ? Je me concentrai, répondant d'un signe de main tout en restant attentif aux murmures du vent. Voilà qui faisait un joli nom à cet étrange phénomène.

    — Bonne nuit, avait-elle chuchoté.

    En relevant la tête dans sa direction, elle avait disparue.

    En rentrant, je trouvai Stann assis sur le canapé, une mine pas très accueillante.

    — Le Grand Gardien a demandé à nous voir demain à la première heure, me dit-il en levant sa main qui tenait une lettre avec la signature de ce dernier.

    — Crois-tu qu'il soit au courant de... mon manque d'attention des ces derniers jours ? hésitai-je.

    — Je n'en sais rien, mais je ne l'espère pas pour toi... me répondit-il sans même se donner la peine de me regarder.

     

    J'avais tout à coup un nœud dans l'estomac. Ce n'était pas une sanction qui pouvait m'attendre, mais une sorte de rattrapage de tout ce que nous apprenons avant de devenir gardien, et je ne sais si je pourrais le supporter.


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